PROCèS DE DONALD TRUMP : « PAIE CASH », L’ENREGISTREMENT QUI MET EN DIFFICULTé L’ANCIEN PRéSIDENT

Et soudain, à 16 heures passées, une demi-heure avant la fin de la séance, une voix caractéristique a résonné dans la salle d'audience : celle de Donald Trump. L'ancien président, en costume bleu sombre comme toujours, mais avec une cravate jaune, sa touche de fantaisie du jour, a levé la tête, qui dodelinait, appuyée contre le dossier de son fauteuil tandis qu'il luttait contre le sommeil depuis des heures. Il a alors entendu sa propre voix diffusée dans le tribunal de New York, où il est jugé dans le cadre de l'affaire Stormy Daniels.

Après des bruits confus qui trahissent l'enregistrement à la sauvette dont Michael Cohen, alors l'avocat de Donald Trump, était apparemment coutumier, on distingue la voix de l'ancien président. Ce dernier raccroche au téléphone. Son avocat commence alors à parler : « Super coup de fil, d'ailleurs. Génial. » Et enchaîne : « Il faut que je crée une entreprise pour le transfert de tout ça au sujet de notre ami David [Pecker, NDLR], vous savez, pour que? Je vais faire ça tout de suite. Et j'ai parlé à Allen Weisselberg [PDG de la Trump Org, NDLR] de comment organiser tout ça. »

Donald Trump reprend : « Donc on doit payer combien pour ça ? 150 ? » Un peu plus loin, Michael Cohen poursuit : « Donc je m'occupe de tout ça. Et j'en ai parlé à Allen, quand il faudra financer ça? » « Attends, comment ça, financer ? » lui rétorque son client. L'avocat répète : « Il faudra qu'on lui paie quelque chose. » Donald Trump lance alors : « Paie en liquide. » « Non, non, non, non, non, je m'en occupe », conclut Michael Cohen.

Une pièce centrale de l'accusation contre Trump

Rapide décryptage : en 2016, David Pecker, le PDG d'American Media Inc (AMI), avait payé la playmate Karen McDougal, qui aurait entretenu une liaison de dix mois avec Donald Trump entre 2006 et 2007. Comme David Pecker l'a longuement raconté la semaine dernière, le National Enquirer avait pour habitude d'acheter des témoignages. Mais, dans le cas de Karen McDougal, il s'agissait d'acquérir, pour 150 000 dollars, l'exclusivité des droits de son histoire, puis de ne pas la publier pour l'enterrer, une manipulation appelée Catch and kill (« Attraper et tuer »).

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David Pecker a reconnu qu'il avait agi pour épargner Donald Trump, alors en pleine campagne présidentielle. La Trump Organization devait ensuite rembourser « notre ami David ». La conversation a été enregistrée le 6 septembre 2016, soit 2 mois et 2 jours avant l'élection présidentielle. Et elle prouve que Donald Trump était parfaitement au courant de la transaction.

Cet enregistrement avait été annoncé dans la plaidoirie d'ouverture du procureur Matthew Colangelo : « Vous entendrez l'accusé, avec sa propre voix. » Il a été introduit au milieu d'un des témoignages les plus techniques et laborieux de la journée, celui de Douglas Daus, expert de la cellule d'analyse de la haute technologie. Son rôle consiste, notamment, à décortiquer le contenu des téléphones et, en une demi-heure, on a appris que Michael Cohen possédait deux téléphones, dont un qui contenait 39 745 contacts. Imprimées, les listes de ces contacts comptaient une dizaine de pages juste pour Donald Trump.

On sait aussi que Michael Cohen utilisait WhatsApp, Telegram, Signal. On a appris qu'à la date du 8 février 2017 il a inscrit dans son calendrier : « RV avec le POTUS [président des États-Unis, NDLR]. » On a même vu une photo de lui, tout sourire, derrière le pupitre de la salle de presse de la Maison-Blanche. Selon l'accusation, cela correspond au jour où Donald Trump a accepté de commencer à rembourser Michael Cohen pour les 130 000 dollars versés à Stormy Daniels, l'actrice de porno payée pour garder le silence sur la relation sexuelle qu'elle aurait eue avec l'ancien président en 2006.

Keith Davidson, un avocat au centre du procès

L'accusation a passé un autre enregistrement dans lequel Donald Trump disait être furieux « qu'on ait fait ça », en référence à ces paiements. Elle a aussi montré le contrat signé par Stormy Daniels. On y lit, entre autres, que, si elle rompait le silence, en plus de rendre la somme qui lui a été versée, elle devrait un million à Donald Trump. Les signatures figurent à la dernière page : Peggy Peterson ? qui n'est autre que Stephanie Gregory Clifford, la véritable identité de Stormy Daniels ?, Keith Davidson et Michael Cohen. Quant à David Dennison, pseudonyme donné à Donald Trump, la case à côté de son nom est restée vide : il n'a jamais signé.

Plus tôt, la défense avait tenté de discréditer Keith Davidson, l'avocat des deux femmes, qui a négocié les contrats pour elles. Celui-ci semble s'être fait une spécialité des contrats sordides à Hollywood, négociant pour la sextape d'une starlette, Tila Tequila, pour celle du catcheur Hulk Hogan, ou encore un mystérieux paiement de l'acteur Charlie Sheen. C'est un monde où tout se négocie, tout s'achète, en particulier le sexe.

À LIRE AUSSI Qui sont les protagonistes du procès historique de Donald Trump à New York ? Emil Bove, avocat de Trump, a tout fait pour présenter Keith Davidson comme un avocat malhonnête, immoral, dont l'activité n'était autre qu'une entreprise d'extorsion. Cela rappelle surtout que c'est le monde que Donald Trump connaissait et sur lequel il s'est appuyé, alors qu'il était candidat, en 2016. Keith Davidson en avait bien conscience.

L'accusation a projeté un échange de textos, au soir du 8 novembre 2016, alors que la victoire de Donald Trump devenait évidente à mesure que les résultats de l'élection présidentielle tombaient : « Qu'est-ce qu'on a fait ? » Ce à quoi Dylan Howard, le rédacteur en chef du National Enquirer, a répondu : « OMG » (« Oh, mon Dieu »). Interrogé, Keith Davidson a répondu : « Nous comprenions que nos activités avaient pu, d'une certaine manière, aider la campagne présidentielle de Donald Trump. »

Stormy Daniels, le point faible de l'accusation

Le n?ud de la démonstration de l'accusation était sans doute là : les contrats, l'achat du silence de ces deux femmes, tout cela ne visait qu'à protéger le candidat Donald Trump, donc à influer sur l'élection présidentielle pour le faire gagner. Or les 34 chefs d'accusation contre lui portent sur le maquillage des comptes pour cacher les 130 000 dollars à Stormy Daniels. Ce ne sont que des délits mineurs, selon la loi de New York, qui deviennent des crimes s'ils visent à commettre un autre délit qui serait l'ingérence électorale.

À LIRE AUSSI « Il faudra se battre » : Trump remet déjà en cause la probité de la prochaine présidentielleLe jury y croira-t-il ? Autre faiblesse, Stormy Daniels elle-même, qui a signé des déclarations (rédigées par Keith Davidson, donc), a formellement démenti toute relation avec Donald Trump, avant de nier, dans une émission de télévision en 2018, qu'il s'agissait de sa signature. Il faut un verdict à l'unanimité pour condamner l'ancien président. Il suffit d'une personne peu convaincue par l'emboîtement des chefs d'accusation ou par Stormy Daniels pour rendre caduc le procès.

Cette journée a aussi permis d'introduire des textos de Hope Hicks, directrice de la communication de la Maison-Blanche puis assistante de l'ancien président et conseillère, très proche, de Trump, dont le témoignage est attendu avec impatience.

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